Évocation I
L’Évocation I pour orgue prolonge le mystère illustré précédemment par le Motet I. Deux éléments distincts alternent dans le premier tiers de la pièce : il s’agit tout d’abord d’une mélodie seule, dépouillée comme le serait une incantation orientale. Puis apparaît un élément polyphonique plus chromatique, quoique toujours un peu éthéré, semblant évoquer le souvenir d’une ouverture baroque dont il ne subsisterait que quelques traits ornementaux ou harmoniques caractéristiques. Ces deux univers, d’abord distincts, se rapprochent de plus en plus tout au long de cette première période. Vient ensuite, en rupture avec ce qui précède, un thème d’accords implacables qui emporte la pièce aussi rapidement qu’inexorablement vers un sommet beaucoup plus déclamé, plus intense, où il semble que les deux éléments initiaux ne fassent plus qu’un. On y retrouve cette mélodie modale aux contours orientaux pénétrée par des chromatismes créant des rencontres harmoniques particulièrement tendues. C’est dans une atmosphère un peu irréelle que se clôt la pièce, laissant entrevoir de façon plus distincte les quelques résurgences baroques entrevues auparavant.
Évocation II
Une basse obstinée, inexorable, un do presque obsédant qui nous ramène à certaines danses d’Afrique noire, une pédale persistante immuable sur laquelle vont d’abord se former, puis, peu à peu, s’entrechoquer, des bribes d’univers très différents : une courte antienne litanique aux contours grégoriens, une incise rythmique percutante en valeurs irrégulières, l’évocation d’une polyphonie fuguée en style classique (mais dans un rapport polytonal avec le do de basse persistant), un psaume de Goudimel avec sa rythmique irrégulière, si caractéristique des motets mesurés à l’antique dont la Renaissance était friande, etc. Une sorte de vitrail en quelque sorte, dont on éclairerait certaines parties au gré d’un tournoiement de couleurs, cela dans une progression constante et implacable contrariée seulement par deux courts épisodes pendant lesquels on perd subitement l’assise de la pédale – comme si le sol se dérobait – pour mieux reprendre, juste après, la marche vers la lumière.
Ces deux Évocations, contrairement aux Esquisses, s’adressent plus spécifiquement à des instruments classiques que symphoniques. La création eu d’ailleurs lieu, en juillet 1996, sur l’orgue de Saint-Bertrand-de-Comminges (festival commanditaire de l’œuvre). Le compositeur tenait les claviers.
Thierry Escaich