Au départ, âgé d’environ seize ans, je voulus écrire une suite de cinq variations courtes et presque décoratives. Mais déjà, malgré ce désir, pointaient dans cette première esquisse des sortes de mélodies aux contours d’antiennes grégoriennes, des formules obstinées et presque obsédantes, de longues phrases incantatoires chantant jusqu’au déchirement. Plus de dix ans après, c’est une relecture de cette œuvre que je propose, une relecture gardant la structure de cinq variations contrapuntiques sur le thème apparemment futile et anecdotique de À la claire fontaine. Mais ce qui caractérise la version antérieure est encore amplifié. C’est ainsi que, dès la première scène, l’exposition sereine du thème en harmoniques au violoncelle se voit peu à peu contrariée par l’apparition de bribes de phrases haletantes à la flûte (ou au violon dans cette version), qui entraînent les deux autres instruments vers un sommet expressif, où l’on discerne l’ombre du Dies iræ, sommet préfigurant le climat sombre et pesant de la troisième scène.
La seconde, plus vive, évoquant une sorte de scherzo, se voit, elle aussi, par quatre fois brisée, interrompue par de brusques élans lyriques, à la flûte, puis au violoncelle, préfigurant la longue mélodie incantatoire de la scène suivante.
La troisième, la plus profondément expressive et mystique, apparaît alors comme le climax de l’œuvre entière. Ce qui précède nous y conduit inexorablement et ce qui suit n’en sera que l’écho. Et ce n’est pas ce menuet naissant dans la quatrième scène qui fera émerger la pièce de ce gouffre car, lorsque le violoncelle intervient, c’est pour emporter cette valse dans un tournoiement agité et lyrique au cœur duquel le Dies iræ vient de nouveau s’engouffrer.
Enfin, une fugue clôt ce cycle, une fugue essentiellement rythmique à la fin de laquelle le thème populaire initial tente de se redessiner pour conduire le tout vers un apaisement qui n’est qu’apparent.
Thierry Escaich